Considérations micropsychanalytiques sur le surmoi
Daniel Lysek
Quelle pourrait être la contribution originale d’un micropsychanalyste à des échanges concernant le surmoi ? Peut-être simplement d’apporter un éclairage original sur des éléments connus. Il suffit parfois de quelque chose de cet ordre pour que des aspects inattendus sortent de l’ombre.
Dans la mesure où le surmoi est inconscient, il en va de lui comme de l’inconscient lui-même : on connaît ses dérivés et ses effets, mais les avis peuvent diverger quant à savoir ce qu’il est et ce qui le constitue. Ainsi, tout discours sur le surmoi est en partie fonction d’observations qui varient selon le dispositif technique mis en place et selon les outils conceptuels utilisés.
La diversité des pratiques et des modèles ne simplifie pas les échanges entre analystes, mais cela les rend d’autant plus nécessaires. Et le thème de ce congrès nous y invite particulièrement puisque — tout le monde s’accordera sur ce point — le surmoi joue un rôle clef dans la socialisation des individus. Mais il y a encore un autre intérêt à vouloir mesurer ses propres réflexions sur le surmoi à celles des autres. L’analyste est bien placé pour connaître les dangers d’une pensée enfermée sur elle-même ou qui se nourrirait d’approbations admiratives acquises à l’avance. Or ces dangers nous ramènent exactement au cœur de la problématique du surmoi. Et là on touche au surmoi névrogène, celui qui pousse à l’obsession, ou au surmoi pervers, qui s’allie aux instances idéales pour faire basculer le sujet dans ce qui ressemble à une mystique narcissique.
En somme, le surmoi fait courir l’être humain sur une corde raide, tendue sur un vide impressionnant, et tout se passe comme s’il s’amusait à le déséquilibrer, voire à l’y précipiter, puisqu’en signifiant l’interdit il le rend attractif, il en fait un objet de désir.
Cela m’amène à répondre de manière plus précise à ma question inaugurale. La spécificité technique de la micropsychanalyse — les longues séances — vise à faire se développer de longues chaînes d’associations libres, ponctuées par des abréactions et des revécus d’expériences archaïques. D’une part, ce dispositif confirme l’existence de coupures fondatrices ; en conceptualisant une incompatibilité énergie-vide, la micropsychanalyse rejoint la notion de béance et d’objets du manque — d’une certaine manière en tout cas, qui demande à être précisée, ne serait-ce que pour cerner son rôle dans la genèse du surmoi.
D’autre part, la verbalisation en longues séances finit par former une trame associative où non seulement se reflètent les dynamismes inconscients, mais où on peut aussi voir se dessiner une structure de l’inconscient. Le modèle micropsychanalytique modélise donc l’inconscient comme un ensemble structuré par niveaux d’organisation : les représentations en sont les microstructures fondamentales ; issues des expériences pulsionnelles refoulées, elles gardent la trace de ce qui a été vécu au cours du développement. Ces unités de mémoire s’organisent selon le processus primaire et s’assemblent jusqu’à former les complexes inconscients que nous connaissons.
Les instances sont des structures particulières de l’inconscient ; regroupant des ensembles de représentations en une organisation fonctionnelle, elles engendrent chacune une dynamique spécifique (par exemple, pour le moi, réalisation des désirs en fonction des défenses). Ainsi le surmoi peut-il être défini comme une organisation de représentations mémorisant des vécus où la toute-puissance narcissique a été mise en échec par une autorité extérieure ; on y trouve la mémoire de pulsions entravées, de jouissances sphinctériennes frustrées, de contraintes à la propreté, d’emprises parentales, de renoncements à des désirs… Cette mémoire s’organise inconsciemment et prend ainsi une nouvelle forme, impersonnelle. Mais l’aspect personnel des vécus qui la composent peut être retrouvé par le travail analytique.
Au surmoi inconscient, les micropsychanalystes font correspondre une structure préconsciente — la conscience morale — chargée de mettre en application la loi surmoïque, si possible en accord avec le processus secondaire et le principe de réalité. On conçoit donc qu’il existe un dynamisme élaboratif allant de l’inconscient profond jusqu’au préconscient et au manifeste. La mémoire originaire qui s’élabore ainsi est définitivement gérée par le langage en s’approchant de l’interface inconscient/préconscient et est dès lors prête à interagir avec les structures sociales et culturelles intériorisées. Pour ce qui concerne la formation du surmoi, on peut distinguer trois temps :
1) La base phylogénétique : il s’agit d’un noyau inné, comprenant le tabou de l’inceste et le tabou du meurtre ; les vécus de la petite enfance — et donc la structuration du surmoi — seront en partie conditionnés par l’activité de ce noyau, par le poids des interdits et des contraintes que véhicule l’histoire familiale.
2) L’étape anale : le surmoi va y recruter le gros de ses troupes. L’enfant intériorise les contraintes de l’autorité, les impératifs de l’éducation sphinctérienne et le contrôle exercé sur lui et sa fonction excrémentielle. Il s’agit là d’un essai de résoudre le conflit lié à l’incompatibilité essentielle entre l’autonomie enfin gagnée et les pressions de l’éducation. Cette structuration anale du surmoi se fait parallèlement à l’acquisition du langage articulé et à la transition du narcissisme primaire vers la relation d’objet. C’est donc essentiellement dans la relation duelle à la mère que sont vécues l’autorité, l’emprise et la contrainte. En somme, ce sont bien les caractéristiques de la mère toute-puissante qui sont mémorisées.
3) La phase finale, phallique-œdipienne : là, les troupes se spécialisent et affûtent leurs armes en fonction de la relation triangulaire et du complexe de castration ; c’est en particulier la puissance paternelle qui s’intériorise alors, tant chez la fille que chez le garçon, mais évidemment de manière différente. A propos du surmoi héritier d’Œdipe, il faut voir aussi que le surmoi est déjà effectif pendant l’Œdipe puisqu’il sera le moteur de son décours.
Enfin, j’aimerais dire un mot de la constitution d’un surmoi cruel. Elle tient bien sûr au sadomasochisme des parents et à leur sexualité inscrite en négatif dans leur propre surmoi. Il semble pourtant qu’elle provienne également de leur charge pulsionnelle agressive " pure ". L’enfant saisit l’agressivité sous-jacente à la soumission qu’on lui impose et l’intériorise ; l’organisation interdictrice et (auto)punitive s’organise donc aussi selon les caractéristiques d’une agressivité non englobée dans le sadomasochisme.
En conclusion, la constitution du surmoi ne répond pas uniquement à la nécessité de se défendre d’une perte d’amour mortifère, mais sert aussi à développer progressivement une gestion viable de l’agressivité.